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Les dépendances physiques et spirituelles de l'entité humaine

 Extrait du livre « Des énigmes de l’âme » - GA 21

© Éditions Anthroposophiques Romandes 2010

Tous droits réservés pour la version française

Reproduction complète ou partielle soumise à autorisation

Traduction Georges Ducommun

Je désire esquisser ici où en sont mes recherches touchant les rapports entre le psychisme et le domaine physique-corporel. J'ose dire qu'il s'agit du résultat de trente années d'investigation spirituelle. C'est au cours de ces dernières années seulement que j'ai réussi à donner une forme conceptuelle à ce problème. Par rapport au but que je m'étais fixé, je pense être parvenu à une sorte de conclusion provisoire. Là encore, je me contenterai de présenter un résumé indicatif des résultats obtenus. Leur justification peut être appuyée par les données scientifiques dont nous disposons aujourd'hui. Toutefois cela ferait l'objet d'un ouvrage volumineux et les circonstances actuelles ne me permettent pas de le rédiger.

Pour connaître les rapports entre le psychisme et le corporel, la classification de l'expérience psychique en représentation, jugement et manifestation d'amour ou de haine, proposée par Brentano est inutilisable. En effet, lorsque l'on étudie les rapports en question, la distinction qu'il suggère entraîne un tel déplacement de toutes les conditions entrant en jeux qu'il devient impossible d'aboutir à des conclusions conformes à la réalité.

Pour l'étude qui nous intéresse il faut s'en tenir à la classification récusée par Brentano, c'est-à-dire : représentation, sentiment, volonté. Lorsque l'on rassemble tous les aspects psychiques entrant dans l'expérience de la représentation, et que l'on cherche à savoir à quels processus corporels est lié le psychisme, on trouve un terrain d'entente qui se recoupe dans une très large mesure avec les résultats de la psychologie physiologique actuelle. La contrepartie corporelle à l'aspect psychique de l'activité représentative doit être recherchée d'une part dans les processus du système nerveux se prolongeant jusque dans les organes des sens, et d'autre part dans l'organisation intérieure du corps. Bien que dans l'optique de l'anthroposophie il faille sous maints aspects développer une pensée différente de celle de la science moderne, cette dernière s'avère reposer sur d'excellents fondements.

Il n'en est pas de même quand il s'agit de déterminer la contrepartie corporelle du sentiment et du vouloir. À cet égard il faut d'abord se frayer le juste chemin à travers les résultats de la physiologie actuelle. Une fois sur la bonne voie, on découvre que, comme la représentation est en rapport avec l'activité des nerfs, le sentiment doit être relié à la vie rythmique centrée sur le système respiratoire.

En fonction du but envisagé, il faut concevoir le rythme respiratoire au sens le plus large, c'est-à-dire avec tout ce qui s'y rattache, y compris les parties les plus périphériques de cette organisation. Pour atteindre des résultats concrets dans ce domaine, les expériences de la recherche physiologique doivent être examinées dans une optique aujourd'hui encore assez inhabituelle. C'est à cette seule condition que disparaîtront toutes les contradictions qui surgissent d'emblée quand on établit un rapport entre le sentiment et le rythme respiratoire.

Une fois examinée de plus près, la contradiction initiale se révèle être une preuve à l'appui de ce rapport. Prenons un seul exemple tiré de ce vaste domaine.

L'expérience musicale repose sur le sentiment. Par contre, le contenu d'une forme musicale vit dans la représentation communiquée par la perception auditive. A quoi est due l'expérience musicale vécue au niveau du sentiment ? La représentation de la forme tonale qui repose sur l'organe de l'ouïe et sur le processus nerveux n'est pas encore cette expérience musicale. Celle-ci naît de ce que le rythme respiratoire qui se prolonge jusque dans le cerveau y rencontre les apports transmis par l'oreille et le système nerveux. L'âme ne vit donc pas seulement dans ce qui est entendu et représenté, mais dans le rythme respiratoire ; elle ressent ce qui se déclenche dans le rythme respiratoire lorsque le processus inhérent au système nerveux se heurte en quelque sorte à cette vie rythmique. Il suffit de voir sous son juste éclairage la physiologie du rythme respiratoire pour être à même d'approuver pleinement le propos suivant: l'expérience de l'âme se déroule au niveau des sentiments en s'appuyant sur le rythme respiratoire, à l'image de la représentation qui repose sur les processus nerveux.

D'une façon analogue, le vouloir repose sur des processus métaboliques. Là encore, il faut tenir compte de toutes les ramifications et de tous les prolongements du métabolisme dans l'ensemble de l'organisme. Tandis que l'on se «représente» quelque chose, un processus nerveux se déroule et permet à l'âme de prendre conscience de la donnée représentée. Et lorsque l'on «ressent» quelque chose, il se produit une modification du rythme respiratoire grâce à laquelle un sentiment surgit dans l'âme. De la même manière, lorsque l'on «veut» quelque chose, il se produit un processus métabolique qui sert de support corporel à l'expérience se manifestant dans l'âme sous la forme du vouloir.

Le seul cas où l'expérience de l'âme est entièrement consciente et lucide concerne les représentations transmises par le système nerveux. Les expériences communiquées par le rythme respiratoire se manifestent dans la conscience ordinaire sous la forme d'une image rêvée. Cela est vrai pour tout ce qui est de nature sentimentale, donc aussi pour les émotions, les passions, etc., etc.

Le vouloir qui s'appuie sur des processus métaboliques n'atteint jamais un degré de conscience supérieur à celui de la torpeur du sommeil. En observant de plus près le problème évoqué, on constate aisément que le vouloir est vécu d'une manière différente de l'acte de la représentation. Cette seconde expérience ressemble un peu à la vision d'une surface recouverte de couleur, et le vouloir à une tache noire au sein d'une surface colorée. Sur la tache non colorée on «voit» quelque chose par contraste avec l'entourage d'où se dégagent des impressions de couleur, alors qu'aucune impression de ce genre n'émane de la tâche : on « se représente le vouloir» parce qu'au sein des expériences représentatives de l'âme il y a par endroits une absence de représentations (Nicht-Vorstellen) qui s'intercale dans l'expérience pleinement consciente.

Cela est comparable aux interruptions de la conscience pendant le sommeil, qui viennent se glisser dans le déroulement de l'existence consciente. Ce sont ces différents types d'expériences conscientes qui conduisent au vécu diversifié éprouvé par l'âme suivant qu'il s'agit de la représentation, du sentiment ou du vouloir. — Dans son ouvrage «Leitfaden der physiologischen Psychologie » (Manuel de psychologie physiologique), Theodor Ziehen est amené à caractériser de façon très significative le sentiment et le vouloir. Sous bien des aspects cet ouvrage est exemplaire, notamment en ce qui concerne la façon dont la science naturelle d'aujourd'hui analyse les rapports entre les domaines physique et psychique. Même du point de vue anthroposophique, nous pouvons accepter la manière de décrire les rapports entre la représentation sous ses différentes formes et la vie des nerfs. Au sujet du sentiment, par contre, Ziehen écrit (9e leçon du livre cité): «La psychologie ancienne considère à quelques exceptions près les émotions comme des manifestations d'une faculté particulière et autonome de l'âme. Kant avait placé le sentiment du plaisir et du déplaisir, en tant que facultés particulières de l'âme, entre la faculté de connaître et celle de désirer ; il avait affirmé avec insistance qu'il n'était pas possible de concevoir une source commune à ces trois facultés de l'âme. Or, d'après nos considérations, il s'avère que pour les sentiments de plaisir et de déplaisir une telle autonomie n'existe pas. En l'occurrence, il ne s'agit que de nuances du sentiment traduisant des propriétés ou indices relatifs à des impressions et des représentations.»

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