Pédagogie curative

 

Origine

En juin 1924, à la demande de quelques étudiants, Rudolf Steiner donne un cours sur une forme d'éducation médicale appelée communément "Pédagogie curative" et qui se fonde sur l'anthroposophie.

Depuis lors, des dizaines de centres de pédagogie curative ont vu le jour dans le monde entier et accueillent des enfants et également des adultes.

Ce cours, pourtant peu connu, tient cependant une place importante dans toute la littérature médico-pédagogique. Il reste, une source de réflexion et de d'inspiration pour les centaines d'éducateurs et de médecins qui oeuvrent dans ces centres.

 


 

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LES CONNAISSANCES DE BASE EN PÉDAGOGIE CURATIVE

Extrait du livre "Tendances évolutives et destins d'enfants" du Dr Walter Holtzapfel (2ème édition française 1980)

 

La pédagogie curative est une science de notre temps. Elle a de grands précurseurs (Pestalozzi 1746-1827, Don Bosco 1815-1888, Guggenbühl 1816-1863, Barnardo 1845-1905 et d'autres), mais ce n'est qu'au cours de ce siècle qu'elle est devenue l'affaire de tous. L'opinion n'en avait pas encore pris conscience quand en été 1924 Rudolf Steiner a tenu son Cours de Pédagogie Curative. La pédagogie curative anthroposophique s'engageait sur une terre neuve. Dans d'autres domaines, la médecine et la pédagogie, l'impulsion anthroposophique de renouveau a dû s'expliquer avec des traditions bien établies. La pédagogie curative occupait un pays neuf pour y opérer de manière exemplaire. On a largement reconnu ce fait. Bien au-delà des cercles anthroposophiques, on lui a su gré qu'une lacune soit remplie, qu'une recherche soit abordée à laquelle on n'était guère encore préparé. Même lorsqu'on ne pouvait pas approuver les idées de base de cette pédagogie, force était d'en admettre l'efficacité et les méthodes. Certes, il y avait déjà des écoles de perfectionnement et des maisons d'enfants où l'on ne ménageait pas ses forces. Mais c'était le fait d'une générosité innée, à présent de plus en plus rare. Le concept fondamental de la rééducation faisait défaut encore. Quand on a pris conscience des enfants, toujours plus nombreux, en difficultés psychiques, la société a ressenti une gêne, sinon presque un choc. On se voyait en présence d'un phénomène bien étranger aux choses du monde. On cherchait à éluder le problème. Les parents avaient honte de leurs enfants.

A présent il apparaît peu à peu que ce problème n'est pas comme un corps étranger dans notre monde, mais que les tâches qu'il suscite font plutôt partie de notre existence.Elles ne nous détournent pas d'autres activités, peut-être plus importantes, mais sont même de nature à promouvoir des facultés et des connaissances qui nous auraient manqué sans les enfants en difficulté.

Deux réflexions surtout nous ouvrent à ces enfants nous font percevoir, non pas leur singularité, mais leur parenté profonde avec nous.

La première de ces réflexions concerne le noyau spirituel, intact par essence chez un enfant de ce genre, aussi bien que chez nous. L'imperfection du mode d'existence relève du fait que la nature spirituelle, intacte, de l'enfant, est forcée de s'exprimer au travers d'une constitution perturbée. Un pianiste ne peut tirer que des dissonances d'un instrument désaccordé, fût-il un artiste réputé, voire même un génie. On a besoin de force intérieure cependant pour assumer réellement une idée de ce genre, apparemment contredite par ce qui se voit. On saisit plus facilement la personne spirituelle lorsqu'elle s'est révélée déjà sans entraves. Quand une personne âgée présente des changements de caractère et des difficultés, nous déclarons que sa personne ne peut plus se manifester qu'au travers d'un corps atteint de sclérose et devenu rigide, mais que cette personne existe néanmoins telle que nous l'avons connue. De même, pour l'avoir rencontré plus tôt, nous sommes avertis de l'être réel d'un enfant qu'un traumatisme crânio-cérébral a complètement changé, faisant d'un enfant normal un être gravement infirme. En principe, l'intégrité du noyau spirituel existe de même lorsqu'il n'a jamais pu s'exprimer librement et l'enfant est né porteur d'une lésion congénitale. D'ailleurs, même dans un cas de ce genre, on peut parfaitement deviner l'être spirituel en l'enfant. L'esprit ne peut tomber malade. C'est pourquoi un terme comme " faible d'esprit ", ou d'autres locutions de ce genre, sont fauteurs de malentendus. On ne peut parler d'obstacle spirituel que pour dire que l'obstacle ne réside pas dans l'esprit même, mais s'oppose à lui du dehors.

Il n'est pas indifférent que l'éducateur connaisse ou ignore le noyau spirituel indemne de l'enfant en difficulté. S'il en a connaissance, une relation intime s'établit avec l'être intime de cet enfant, appelé à son tour à devenir un collaborateur efficace dans la lutte contre son infirmité. C'est ce qui fait partie des impondérables de l'activité médico-pédagogique.
Dans le noyau de sa personne, l'enfant en difficulté est un être à part entière. Il est intimement proche de nous et. bien plus qu'il ne semble à première vue. nous lui ressemblons. C'est le sens de la deuxième des réflexions fondamentales. D'après celle-ci, la disposition à toutes les anomalies que l'on observe chez les enfants en difficulté correspond chez nous à des tendances analogues. Elles ne se manifestent pas ou sont presque inapparentes, parce que des forces antagonistes les cachent ou les annulent.
"Une prétendue anomalie se trouve dans un recoin de la vie psychique de chaque être humain" L'un par exemple ne peut associer que lentement ses pensées, et ses paroles suivent par saccades. Les pensées d'un autre se succèdent si rapidement que son parler est fébrile et précipité. Voilà des variantes de la vie psychique normale. Leur exacerbation pathologique peut mener cependant à la débilité mentale ou à la fuite des idées. Le sens de l'ordre peut dégénérer en pédanterie et déboucher finalement dans la pathologie des fixations obsessionnelles. On pourrait énumérer bien d'autres états au seuil de la pathologie. La vie d'une grande partie de l'humanité contemporaine oscille entre deux états de ce genre : pendant la semaine, chacun se retranche, encagoulé dans son bureau et ainsi de suite, et à la fin de la semaine, il se retrouve absorbé dans la masse assemblée sur les gradins du stade. Ce sont des modes d'existence à considérer comme placés vraiment aux confins de la pathologie de ces enfants qui se replient dans l'isolement de leur entourage, ou se jettent dans le monde.
Des observations de ce genre ne doivent être que des aperçus seulement. Si nous accordons notre attention aux états limites que nous connaissons et dont nous sommes même quelque peu victimes, ils peuvent nous aider à mieux saisir la pathologie infantile, d'emblée si difficile à comprendre. Et c'est ce qui importe tellement, car "du point de vue psychique, on n'est presque d'aucun secours pour un homme dont on ne peut ressentir la situation intérieure.

Parfois les états limites se rencontrent également dans l'entourage de l'enfant, par exemple chez les parents. Il ne peut être question en cela d'hérédité dans le sens commun du terme. Il s'agit de phénomènes d'interférence psychologique que l'on peut contrôler encore. S'ils ne sont dominés, ils peuvent causer chez la génération suivante des lésions organiques qu'on n'a plus le pouvoir de beaucoup corriger. Rudolf Steiner cite l'exemple d'un professeur d'université, auteur d'un système de psychologie humaine d'où la volonté était absente. L'obstination à la laisser de côté s'est inscrite peu à peu dans son organisme physique comme la disposition à de la faiblesse volitive. La volonté, éliminée tout d'abord de la conscience, tendait alors à se retirer pour de bon de l'ensemble de son organisation. Cependant, ce n'était encore qu'une disposition à ne pas être actif dans la vie extérieure. Son fils alla plus loin et fut atteint de blocage de la volonté. Devant prendre par exemple le tramway, il ne pouvait, pour des raisons inexplicables, monter dans la voiture arrêtée devant lui. Impossible de mettre en oeuvre sa volonté, et le projet de partir ne se réalisait pas.
Il n'est pas rare qu'en y faisant bien attention, on découvre des rapports de ce genre, à première vue surprenants. On voit comment l'enfant est envahi peu à peu par les travers de l'entourage. L'état prépathologique de celui-ci va se condenser chez l'enfant sous forme de maladie. l'interprétation équivoque des relations de ce genre a soulevé de vives discussions au début des recherches sur l'autisme. Les chercheurs avaient été frappés par l'attitude quelque peu froide et distante, typique à ce qu'il semblait chez les parents d'enfants autistes. Les chercheurs ont établi un rapport direct entre cette attitude et la genèse de l'autisme. Les parents se sentaient mis en cause comme "coupables"de la maladie grave de leurs enfants et, bien naturellement, ils se sont défendus. En fait, nous avons affaire, là aussi, à un phénomène qui se propage de proche en proche, pour se manifester enfin dans le manque de contact des enfants autistes.

Mais il ne peut être question cependant d'une relation réelle de cause à effet.


Toutes ces réflexions et ces observations attirent notre attention sur l'intérêt de relier aux faits de la vie les comportements, si étranges en apparence, de l'enfant en difficultés psychiques. Il n'en reste pas moins que les parents sont bouleversés lorsqu'ils s'apercoivent que leur enfant est différent des autres, et que les projets formés pour lui ne se réaliseront jamais. Il se font des reproches ou les adressent à d'autres, jusqu'à ce qu'ils comprennent la nature de troubles aussi graves. Alors, des points de vue nouveaux se proposent, des questions existentielles surgissent, des modes d'existence se présentent, qui seraient restés inconnus sans cet enfant et son destin.


La guérison est l'objet de la pédagogie curative. Pourtant, il faut bien le dire, une anomalie réelle est rarement curable. On ne peut transformer un enfant mongolien en enfant non mongolien. Mais quelles différences que celles que l'on observera dans sa manière d'être ! Qu'en dépit de ses moyens réduits un adolescent mongolien soit plus tard plein de vie et plein d'humour, inséré activement en milieu protégé, ou qu'il reste morose et torpide, tout cela dépend largement de l'éducation qu'il aura reçue dans l'enfance et du traitement qu'il aura subi. On peut consolider la santé, stimuler l'ouverture et les intérêts, la responsabilité intérieure et la confiance en l'existence et promettre ainsi l'être mongolien à une existence riche et remplie.
Une amélioration même modeste va demander à un enfant débile un effort énorme compte tenu de ses forces. Mais c'est l'effort qui importe. Il ne manquera pas de porter ses fruits, tôt ou tard. Car, comme il a été dit, on ne peut obtenir que très rarement une guérison complète. Aussi doit- on se demander s'il est juste de parler de pédagogie "curative".
En pédagogie curative, pour faire état de résultats thérapeutiques, il faut tenir compte de délais très longs. Mais les délais que l'on peut mesurer encore ne suffisent pas toujours. L'énigme que nous rencontrons chez un enfant en difficultés psychiques dépasse par nature les seuils de la naissance et de la mort. Elle oriente la recherche vers une vie passée où fut pèsé le germe pour l'incarnation actuelle. Elle fait présumer une existence terrestre à venir qui révélera le résultat véritable d'une existence apparemment vaine. Les problèmes de la pédagogie curative, ainsi que d'autres problèmes fondamentaux de la vie moderne, restent insolubles sans l'idée de la réincarnation, réintroduite par Rudolf Steiner dans notre civilisation. De toute évidence, nous avons besoin de facultés plus vastes de connaissance pour saisir, dans le cas concret, la relation d'une vie terrestre à l'autre. Et cependant, dès à présent, un aperçu essentiel sur la nature de ce rapport peut se présenter. Il suffit de réfléchir aux cas où le revirement de la guérison s'est accompli déjà au cours d'une seule existence.
Dans la première partie de cet ouvrage, on a décrit un cas où la kleptomanie s'est transferée en facultés poétiques. La guérison n'a donc pas consisté dans l'élimination du défaut, mais dans la transformation d'une faculté négative en une faculté positive. Ce défaut commence par abaisser sa victime au-dessous des normes de l'évolution humaine. Mais il peut être l'occasion aussi d'une guérison qui va promouvoir, en retour, l'apparition d'une faculté supérieure à la norme. Le pendule se porte d'abord d'un côté et y prend l'élan qui le rejette du côté opposé. Voilà donc un modèle qui permet d'entrevoir la relation entre une existence à venir et celle passée comme enfant en difficultés psychiques. Rudolf Steiner a surpris en déclarant que, d'après ses recherches, presque chaque génie a passé par une existence de minus. C'est justement dans la lutte avec la déficience que naissent les capacités extraordinaires qui vont sortir sans obstacles dans une existence à venir. Les efforts de la pédagogie curative se placent absolument dans la perspective dégagée par Rudolf Steiner, c'est-à-dire la transformation des valeurs négatives en valeurs positives. Ainsi, en regard de l'avenir, l'activité des praticiens de la pédagogie curative et la destinée des enfants qui leur sont confiés représentent des facteurs d'une valeur incalculable.

Dr Walter Holtzapfel